Coiffe cérémonielle kwakwaka’wakw
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Parure cérémonielle d'Amérique du Nord placée sur le bureau, face à André Breton.
Quatre images, une notice descriptive, une bibliographie.
Impressionnante effigie d'ancêtre pour le culte Uli, XIXe siècle.
Effigie d'ancêtre pour le culte Uli : homme debout, les bras détachés du corps, les mains posées aux hanches. La tête au visage concave convexe est surmontée d'une haute coiffe cimier en forme de double plume érigée sur une calotte gravée en damier. Le visage est peint d'un cerne noir encadrant le regard et épousant le pourtour du menton. Les yeux, dans des cavités profondes, sont constitués de coupelles de nacre (cyprées) (?) piquées de pupilles en opercule de turbo. Le nez busqué plonge vers la large bouche épousant tout le bas de la face, des dents fines apparaissent entre les lèvres. Deux oreilles décollées aux lobes distendus ajourés encadrent la tête au niveau des tempes. Le menton fort, ovalisé, est ourlé d'un collier de barbe en fibres et résine. Une natte gravée de chevrons s'y rattache, raccordée à un bandeau ornemental ceinturant le buste, sous les seins coniques inscrits dans l'arc des épaules, et se poursuivant jusqu'à la ceinture ceignant les hanches. Le torse cylindrique rehaussé de pigments s'érige sur des hanches fortes et des jambes courtes aux larges pieds digités. Le pubis est gravé en éventail cannelé en pointe de diamant, au dessus du sexe circoncis et saillant. Les mains vigoureuses semblent cramponnées au bas du corps, les doigts repliés en crochets. Le dos recouvert d'une épaisse patine croûteuse noire de fumée est sculpté d'une haute prise ajourée verticale. Les bras et les jambes sont ornés de bracelets et chevillères sculptés en relief.
En 1964 André Breton se sépare de son célèbre De Chirico le Cerveau de l'enfant, œuvre majeure du peintre qu'il aura donc conservée presque toute sa vie d'homme ; il cède ce tableau plus par dégoût de son auteur que par réel besoin financier : De Chirico ne cessait de se répandre en propos injurieux sur le groupe surréaliste et plus précisément sur Breton, la présence de ce tableau dans l'atelier de la rue Fontaine était un rappel vivant de la personnalité controversée de son auteur, donc une gêne. Hasard heureux à cette date, le grand Uli de l'ancienne collection Roland Tual, manqué par Breton en février 1930 à Drouot, se trouve sur le marché, et Breton a, cette fois enfin, en main de l'argent, celui de la vente du De Chirico : il peut donc s'offrir cet objet tant désiré depuis 35 ans ! Cet Uli avec lequel Breton entretint des rapports réguliers puisque c'est à sa gloire qu'il rédige en 1948 son célèbre poème, «Uli», dans le catalogue de l'exposition Océanie à la galerie Andrée Olive. Un chef-d'œuvre est donc remplacé par un autre qui vient à son tour veiller sur le bureau du poète et investir son imaginaire.
L'Uli est sans doute la dernière acquisition en art primitif de Breton, deux ans avant sa mort ; c'est d'autre part l'œuvre la plus importante en ce domaine qu'il ait jamais acquise. Importance quant à sa place dans la constitution même de la collection Breton et importance par rapport au corpus des œuvres de Nouvelle-Irlande au sein duquel il occupe un rang élevé. Tout dans cette sculpture retient l'attention : sa forte présence d'abord qui s'exprime dans la charpente terrienne de son corps ramassé et musclé, ensuite son agressive sexualité ambivalente dressée, puis l'intense regard caverneux scintillant de ses pupilles de nacre, et enfin le manteau soyeux de sa patine ondoyant ses formes pleines, de couleurs profondes à l'avers, et au revers d'une couche épaisse de noir de fumée. Comme l'exprime si bien Breton, Uli est un dieu, un dieu paysan qui va au rythme des saisons, les pieds dans la terre des plantations et le corps maculé du sang des sacrifices humains, gavé des victuailles des festins rituels de gros ignames et de viande de porc : il fait peur et il émerveille.
Stylistiquement cet Uli est classique, comparable, entre autres, à celui de la collection Walter Bondy reproduit par Adolphe Basler en 1929 dans L'Art chez les Peuples Primitifs, p.75, objet que Breton connaissait, et qui est certainement de la même main et de la même époque, tôt dans le XIXe siècle. Mis à part la position des bras, les deux statues sont presque jumelles avec un même regard intense et un même visage aux formes puissantes éclatées.
Commentant l'Uli de l'ancienne collection Alain Schoffel, Michael Gunn décrit dans le catalogue Sculpture (Paris, Musée du Louvre, 2000, p. 291), le rôle de ces « objets : Les statues Uli représentaient des ancêtres dotés du pouvoir et de la force indispensables à un chef de clan. Le chef idéal est agressif et fort, mais nourrissait son peuple dans cette optique, la poitrine féminine représentait la fécondité, s'apprêtant à nourrir les générations futures. » Ce commentaire d'un spécialiste est en parfait accord avec le poème d'André Breton. Uli règne en maître sur le panthéon primitif de la rue Fontaine.
« ULI
Pour sûr tu es un grand dieu
Je t'ai vu de mes yeux comme nul autre
Tu es encore couvert de terre et de sang tu viens de créer
Tu es un vieux paysan qui ne sait rien
Pour te remettre tu as mangé comme un cochon
Tu es couvert de taches d'homme
On voit que tu t'en es fourré jusqu'aux oreilles
Tu n'entends plus
Tu nous reluques d'un fond de coquillage
Ta création te dit haut les mains et tu menaces encore
Tu fais peur tu émerveilles »
(André Breton, Océanie, Paris, préface d'André Breton, introduction F. H. Lem, Galerie Andrée Olive, 1948.) [catalogue de vente, 2003]
- Paris, Galerie Andrée Olive, Océanie, 1948, reproduit sous le n° 21, avec un poème d'André Breton
- Paris, Musée National d'Art Moderne/Centre Georges Pompidou, André Breton, La beauté convulsive, 1991
- Paris, Musée du Quai Branly, D'un regard l'autre, une histoire des regards européens sur l'Afrique, l'Amérique et l'Océanie, 19 septembre 2006 - 21 janvier 2007
- Cahors, Musée de Cahors Henri-Martin, La Maison de verre, André Breton, initiateur découvreur, 20 septembre - 29 décembre 2014
Dans le cadre du centenaire du Manifeste du surréalisme, cet objet est exposé au MNAM Centre Pompidou pour l'exposition Le Surréalisme d'abord et toujours. Voir le champ Exposition de cette notice. [site André Breton, 2024]
- William Rubin, Primitivism in XXth century art - Affinity of the Tribal and the Modern, New York, The Museum of Modern Art, 1984, rep. p. 113.
- Paris, Musée national d'art moderne - Centre Georges Pompidou, André Breton, la beauté convulsive, 1991, rep. p. 428
- Yves Le Fur (dir.), D'un regard l'autre, Histoire des regards européens sur l'Afrique, l'Amérique et l'Océanie, Paris, Musée du Quai Branly/Réunion des Musées nationaux, 2006, p. 312, rep. p. 313.
- Germain Viatte, Tu fais peur tu émerveilles, Musée du Quai-Branly, acquisitions 1998/2005, Musée du Quai-Branly/Réunion des Musées nationaux, Paris, 2006, p. 43
- Musée de Cahors Henri-Martin, La Maison de verre André Breton initiateur découvreur, Paris, Éditions de l'Amateur, 2014, rep. p. 97, décrit p. 96-98
Date de création | XIXe siècle |
Notes | Haut : 125 cm (49 1/4 in.) Socle Inagaki : 3.2 x 38.6 x 30.5 cm Bois, nacre, opercule de turbo, pigments rouges, noirs et blancs Ancienne étiquette de vente n° 218 à l'arrière du pied droit Accidents aux pieds, restauration au lobe de l'oreille droite |
Provenance | Ancienne collection Roland Tual, Paris, étude Lair-Dubreuil, expert André Portier, vente les 9-11 février 1930, n° 33 du catalogue, rep. planche 1. Breton a acquis cet UIi en 1964 à l'hôtel Drouot. |
Lieu d'origine | |
Musée | BRT MOA183 (ancienne cote BRT MO 166) |
Modalité d'entrée dans les collections publiques | Don Aube et Oona Elléouët à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, Paris, 2003, dépôt au Centre Pompidou, 2015 |
Dimensions | 125,00 x 33,00 x 32,00 cm |
Référence | 4758000 |
Vente Breton 2003 | Lot 6130 |
Mots-clés | bureau, L'Art magique, Mélanésie, objet cérémoniel, Océanie, sculpture |
Catégories | Arts primitifs, Mélanésie, Océanie |
Série | 1991, La Beauté convulsive, centre Pompidou, [Multimédia] Objets à manipuler |
Expositions | André Breton, La Beauté convulsive , Galerie Ch.-W. Hourdé | Surréalisme, Zones de contact : l'Afrique, l'Océanie et l'Amérique du Nord comme lieux de dialogue et de friction , Surréalisme..., MNAM Centre Pompidou | Centenaire du Manifeste du surréalisme , André Breton, La Maison de Verre , Océanie , Ventes Hôtel Drouot 1917 - 1966 |
Lien permanent | https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600100995880 |
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Parure cérémonielle d'Amérique du Nord placée sur le bureau, face à André Breton.
Quatre images, une notice descriptive, une bibliographie.